« Remettez-moi mes mots » : la restitution, un enjeu oublié

« Remettez-moi mes mots » : la restitution, un enjeu oublié

9 Décembre, 2019
par Isaac Bubala Wilondja
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Isaac Bubala Wilondja

Une vue d’ensemble sur le comportement des chercheurs illustre qu’actuellement beaucoup d’entre eux accordent peu d’importance à la restitution de résultats à ceux qui ont participé à la recherche. Après le terrain, on ignore souvent la redevabilité envers les personnes qui avaient accordé du temps, de l’énergie et du soutien pendant le processus de récolte des données empiriques. Ce manque de reconnaissance affecte la confiance des répondants par rapport aux objectifs des chercheurs et diminue leur envie de participer sérieusement à des recherches futures.

En mai 2015, j’étais à Walungu pour une recherche dans le cadre de mon travail de mémoire, lorsqu’une dame me posa cette question : « Jeune homme, où est-ce que vous allez avec tout ce que nous vous disons ? Chaque année nous voyons des gens comme vous défiler devant nous, … Et tout ce que vous apprenez de nous, vous l'utilisez pour quelle fin ?

 

Et pourquoi vous ne nous montrez pas les résultats issus de tous les entretiens que nous avons avec vous ? » Ce questionnement – partagé avec un groupe d’interlocuteurs que je venais de convaincre de participer à la recherche – compliquait fortement le démarrage de ma recherche. Effectivement, je devais les convaincre de participer à mon entretien. Mais je devais pour cela régler le problème posé par ceux qui m’avaient précédé sur ce terrain et qui n’avaient pas pensé à restituer leurs recherches au niveau local.

Un autre exemple concerne ma dernière recherche effectuée avec les leaders des organisations de la société civile du Sud-Kivu en juin 2018 ; j’étais à l’Assemblée provinciale où je devais avoir un entretien avec un député provincial, lorsque celui-ci m’a demandé : « Quelle est ma part dans ton étude ? En quoi est-ce que les réponses que je vais donner à tes questions me serviront ? Ou est-ce qu’au contraire ce n’est qu’une manière d'épuiser mon énergie et de perdre mon temps ? » Toutes ces questions revenaient sur « sa part » dans cette étude. J’ai alors été obligé de répondre d’abord à ses préoccupations avant qu’il n’accepte de répondre aux miennes.

Pendant que j’essayais de m’expliquer, je me suis rendu compte que l’enjeu était beaucoup plus large ; qu’il ne me suffisait pas d’essayer de convaincre mes répondants de ma bonne intention. En fait, pour eux, je représentais tous les chercheurs qui étaient passés sur ce terrain avant moi. Je devais m’expliquer, non seulement pour moi, mais aussi pour ces chercheurs qui m'avaient précédé ; des chercheurs que je ne connais pourtant pas.

Une leçon que j’ai tirée de ces interrogations est celle de l’importance de la redevabilité du chercheur envers les populations qui participent à la recherche. Certains chercheurs accordent peu d’importance à la restitution des résultats du terrain. Pour beaucoup, le retour à la base semble être une tâche de trop, alors qu’il est en réalité important pour plusieurs raisons.

À défaut de cette restitution, on remarque à présent que les participants affichent une attitude de réticence et/ou de refus qui risque de compromettre le travail d’un futur chercheur sur ce terrain : certaines personnes n’y voyant pas leur compte, pourraient s’abstenir de participer. D’autres pourraient attaquer le chercheur verbalement. On aurait alors les remarques du genre : « munarudiya tena ? (Vous revenez encore ?) », « muna tu chokesha na bienyu … na habi ishake (Vous nous fatiguez avec … interminable) ».

La restitution est donc importante pour assurer l’accès sur le terrain dans le futur et n’est pas seulement une responsabilité envers les participants mais aussi envers d’autres chercheurs qui suivront. Elle est avant tout une question éthique en tant qu’elle est l’expression du respect pour celles et ceux avec qui le chercheur a passé un moment de travail dans la récolte des données. C’est une manière d’exprimer sa gratitude. C’est aussi une opportunité unique pour croiser les regards avec les populations sur la manière dont le chercheur a interprété ses données et d’avoir leur input. Finalement, la restitution peut aider la communauté à tirer ses propres conclusions sur la base des résultats obtenus et, éventuellement, à y puiser de l’inspiration pour améliorer sa propre situation ou pour répondre à ses propres défis.

 

 

Isaac Bubala Wilondja est enseignant-chercheur à l'Institut Supérieur de Développement Rural de Bukavu.

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