Ces Chercheurs-Fantomes du Sud: Quid de leur visibilité dans les publications scientifiques?
L'auteur, Bienvenu Mukungilwa
Beaucoup de recherches s’effectuent en Afrique par des chercheurs du Nord avec la participation des assistants de recherche basés dans les régions de recherche. Cependant, lorsqu’on vérifie les noms des auteurs de travaux scientifiques produits sur base de ces recherches, des noms des assistants de recherche s’y retrouvent peu souvent. Et encore moins lorsque ces travaux s’orientent vers un public international. En effet, les conditions posées par la communauté scientifique pour être considéré comme auteur ou co-auteur ne sont pas toujours de nature à faciliter la visibilité des assistants de recherche. Par conséquent, ces derniers sont comme des petits fantômes dans la machine de la recherche : ils sont présents mais personne ne les voit. Ceci fait à ce que le travail des chercheurs du Sud ne soit pas valorisé. Leur travail reste moins considéré et eux-mêmes moins reconnus. Tout ceci constitue un frein à leur visibilité et plus encore à leur promotion. Mais au-delà, peut-on se demander pourquoi les chercheurs locaux figurent très peu sur les publications scientifiques malgré leur apport non négligeable dans la production du savoir ?
Les raisons de cette invisibilité sont multiples. Tout d’abord, comme déjà discuté dans d’autres blog posts dans la ‘série Bukavu’, le monde scientifique est marqué par un énorme déséquilibre de pouvoir. Un clivage Nord-Sud se fait remarquer aussi bien dans le domaine de l’enseignement que celui de la recherche. L’essentiel des fonds pour la recherche provient du Nord. C’est là qu’on décide les participants et les modalités de participation à la recherche. Ainsi, pour être co-auteur, il faut satisfaire à une série des conditions. Par exemple pour l’université de Sherbrooke au Québec[1], pour être considéré comme auteur, une personne doit avoir contribuée d’une manière significative à au moins deux de trois étapes suivantes: ‘1. La conception et la mise en place du plan de travail, 2. La collecte de données, 3. L’analyse et l’interprétation des résultats’. Non seulement ces conditions sont établies par la communauté scientifique du Nord mais elles correspondent aussi aux seules réalités du Nord. Par conséquent, l’assistant de recherche se trouve souvent dans l’incapacité de les remplir. Notons que deux de trois étapes, à savoir la première et la troisième, se déroulent généralement au Nord et assistants de recherche y sont rarement associés. Ils participent seulement à la collecte des données, une étape de la recherche parfois perçue comme une phase technique sans considérer toute la complexité contextuelle qu’elle peut revêtir. Tout ceci fait que le travail du chercheur local est sous-estimé, celui-ci étant réduit à un simple agent de terrain.
Et même s’il y avait une certaine ouverture pour associer les assistants de recherche, ce n'est pas forcément évident pour ceux-ci de participer à la phase d'analyse et d'écriture. Beaucoup de ces chercheurs se confrontent à des défis qui les défavorisent sur ces aspects. D'abord, il y a un problème d’accès à la littérature. Ils n’ont pas accès à des bibliothèques suffisamment fournis ni à des publications en lignes dont la plupart sont payantes. Ensuite, ils sont souvent dans une bataille journalière pour la survie. Or les publications ne sont pas rémunérées. Certes, elles peuvent constituer un plus sur leurs CV mais, souvent, dans l’attribution des postes, celles-ci sont peu considérées.
A la lumière de ce qui précède, il est évident que tant que le rôle des assistants de recherche restera limité à la seule étape de récolte des données, leur visibilité et par conséquent leur promotion ne seront jamais assurées. De surcroit, il sied aussi de constater que la non-implication des assistants de recherche dans l’étape de la publication constitue une opportunité raté à plusieurs niveaux. Pour le chercheur lui-même, c'est une perte en termes de considération de sa valeur, de son input et de sa visibilité. C’est aussi une perte en termes d'apprentissage et de réseautage. Pour le projet de recherche, c'est une perte en termes de croisement de points de vue. En ignorant un acteur clé qui connait le mieux les données, on perd des regards précieux et des perspectives d'analyse originales. L’assistant de recherche devrait exploiter d’autres formes de publication comme le blog post ou les briefs, qui d’ailleurs gagnent de plus en plus de terrain et attire un grand nombre de lecteurs. Moins exigeants et moins contraignants que les publications classiques à l’instar des articles et ouvrages scientifiques, ces nouvelles formes d’écriture peuvent constituer une passerelle pour les assistants de recherche pour se rendre visibles et ainsi faire connaitre au monde ce qu’ils font.
[1] Être ou ne pas être auteure, auteur de publications scientifiques (articles, livres, communications, affiches…) : https: www.usherbrooke.ca/ssf/…/je-dirige-PI-depliant-auteur-2014-V-WEB.pdf